Depuis quelques semaines, l'utilisation d'un algorithme antifraude par l'Assurance Maladie fait l'objet d'une vive controverse. Accusé de cibler injustement les populations les plus vulnérables, notamment les mères célibataires et les travailleurs précaires, cet outil suscite des interrogations sur l'équité des technologies employées dans les services publics. Comment fonctionne cet algorithme ? Pourquoi est-il pointé du doigt ?
L'algorithme de la Sécu : un outil de détection opaque
L'Assurance Maladie s'appuie depuis plusieurs années sur un algorithme pour détecter les comportements frauduleux. Ce programme attribue à chaque assuré un "score de suspicion", calculé en fonction de différents critères : fréquence des arrêts maladie, contexte professionnel ou encore localisation géographique.
Selon une enquête menée par plusieurs associations, dont La Quadrature du Net, ces outils ne seraient pas aussi neutres qu'ils le prétendent. "Les mères célibataires et les travailleurs à faibles revenus se retrouvent davantage dans le viseur, car les critères utilisés par l'algorithme sont biaisés", dénonce Arthur Messaud, juriste à La Quadrature du Net. Ces populations, déjà fragilisées, feraient l'objet de contrôles plus fréquents et, dans certains cas, de suspensions de prestations injustifiées.
Les témoignages de personnes concernées ne manquent pas. Sophie, 35 ans, mère de deux enfants et employée à mi-temps dans une grande surface, raconte : "J'ai été convoquée deux fois en trois mois pour justifier mes arrêts maladie. Ils ont coupé mes indemnités alors que mon médecin avait validé mes congés. J'ai l'impression d'être jugée coupable d'avance."
Des critères de ciblage jugés discriminatoires
L'accusation principale portée contre cet algorithme repose sur les critères utilisés pour établir le score de suspicion. En effet, des éléments comme l'âge, le sexe, la situation familiale ou encore le type d'emploi sont pris en compte, ce qui entraîne une discrimination systémique.
"On sait que les femmes, et particulièrement les mères isolées, sont plus exposées à des conditions de travail précaires et à des problèmes de santé", explique Dominique Méda, sociologue spécialiste des inégalités sociales. "Les cibler davantage revient à stigmatiser des populations déjà en difficulté, au lieu de les protéger."
L'Assurance Maladie nie toute discrimination
L'Assurance Maladie, interrogée par Le Monde, affirme que l'algorithme incriminé a été utilisé "il y a plusieurs années", mais que sa version actuelle ne prend plus en compte "aucune variable relative au sexe du demandeur, ni à l'âge" — une affirmation que l'association La Quadrature du Net conteste fermement.
La Cnam précise par ailleurs qu' "aucun assuré détenant la Complémentaire Santé Solidaire (C2S) n'est traité d'une manière moins favorable qu'un autre", rejetant toute accusation de discrimination. Toutefois, l'organisme assume l'opacité de ses critères de ciblage, expliquant que celle-ci vise à "ne pas aider les fraudeurs à déjouer ses contrôles", selon Le Monde.
Ce n'est pas la première fois qu'un organisme de la Sécurité sociale est accusé de cibler certains profils d'allocataires. En octobre, quinze associations, dont La Quadrature du Net, ont saisi le Conseil d'État pour réclamer l'interdiction de l'algorithme antifraude de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), accusé de pénaliser particulièrement les chômeurs et les bénéficiaires du RSA. "Ces algorithmes n'ont qu'un objectif : faciliter des politiques de harcèlement et de répression des plus précaires", déclare La Quadrature du Net, qui rappelle qu'en réalité, de nombreux bénéficiaires potentiels renoncent à des aides auxquelles ils ont droit.

La rédaction d'Assurland